mercredi 27 novembre 2013

Lynx envers nos pareils et taupes envers nous


Prosper Mérimée à M. Charpentier, libraire-éditeur à propos de "Pères et fils" (Отцы и дети), 1862

Monsieur,

Le roman que vous allez publier a excité des tempêtes en Russie. Ni les critiques passionnées, ni les calomnies, ni les injures de la presse, rien n’a manqué à son succès, si ce n’est peut-être un mandement pastoral. 
 En Russie, comme ailleurs, on ne dit pas impunément des vérités à ceux qui ne vous en demandent pas. Dans ce petit ouvrage, M. J. Tourguéneff  s’est montré, comme à son ordinaire, observateur fin et subtil ; mais en prenant pour objet de son étude deux générations de ses compatriotes, il a fait la faute de n’en flatter aucune.
Chaque génération trouve le portrait de l’autre fort ressemblant, mais crie que le sien est une caricature.
« Lynx envers nos pareils et taupes envers nous », nous ne reconnaissons que les photographies de nos voisins.
Les pères ont réclamé, mais les enfants, encore plus susceptibles, ont jeté les hauts cris en se voyant personnifiés dans le positif Bazarof.
Vous savez, monsieur, que depuis longtemps la Russie emprunte à l’Occident ses modes et ses idées : ce sont des modes aussi, bien souvent. La France lui envoie des robes et des rubans, l’Allemagne est en possession de la fournir d’idées. Naguère on pensait à Saint-Pétersbourg d’après Hegel; présentement, c’est Schopenhauer qui a la vogue. Les adeptes de Schopenhauer prêchent l’action, parlent beaucoup et ne font pas grand’chose, mais l’avenir, disent-ils, leur appartient. Ils ont leurs théories sociales qui effrayent fort les gens de l’ancien régime ; car pour un peu ils vous proposent de faire  table rase de toutes les institutions existantes. 
Au fond, je ne les crois pas dangereux : d’abord parce qu’ils ne sont pas plus méchants que leurs pères, puis ils sont en général paresseux ; enfin, jusqu’à présent, le peuple, seul faiseur de révolutions durables, n’a rien compris à leurs théories, et eux-mêmes n’ont jamais pris la peine de faire son éducation. À mon avis, cette impartialité de M. Tourguéneff est un des mérites de son livre. Il ne s’est pas constitué le juge de la société moderne ; il l’a peinte telle qu’il l’a vue. Sans parti pris, il note ses ridicules, ses travers, ses passions. Il constate que les travers changent, mais que les passions restent les mêmes.
En dépit des efforts de tant de philosophes et de réformateurs,  le cœur humain n’a pas été modifié depuis le temps où le premier poète, le premier romancier eurent l’heureuse idée d’en faire l’étude. 
 Le socialiste de M. Tourguéneff devient amoureux d’une grande dame que sa sauvagerie amuse, et son disciple élevé dans le mépris du mariage épouse une petite provinciale qui le mènera par le bout du nez et le rendra parfaitement heureux.
La traduction, que vous avez bien voulu me communiquer, me paraît fort exacte ; ce n’est pas à dire qu’elle donne une idée complète du style vif et coloré de M. Tourguéneff.
Traduire du russe en français n’est pas une tâche facile. Le russe est une langue faite pour la poésie, d’une richesse extraordinaire et remarquable surtout par la finesse de ses nuances. Lorsqu’une pareille langue se trouve à la disposition d’un écrivain ingénieux qui se plaît à l’observation et à l’analyse, vous devinez  le parti qu’il en peut tirer et les insurmontables difficultés qu’il  prépare à son traducteur. Au reste, si les portraits de M. Tourguéneff perdent pour nous quelque chose de leur brillant coloris, il leur restera toujours la vérité et la grâce naïve qui caractérisent toute œuvre consciencieuse et d’après nature.

Offusquée et étonnée



Ayant délégué la gestion de notre bordel émotif, je découvre avec grande offuscation que des avis chaotiques ont traversé ces lignes initialement prévues pour l’ordre absurde et la productivité.
Bref, afin de remettre tout cela en ordre, je suis allée vérifier les sources de connexion sur notre blog.
Notre premier lecteur est un site de rencontres coquines, spécialisé en fellation forestière.
Comment expliquer ce phénomène? 
Vivement la loi visant à pénaliser les clients de la prostitution! 

 Ci-dessus, les statistiques du laisser-aller rédactionnel!

lundi 18 novembre 2013

Tentative de meurtre à Libé

La réaction de mon dentiste :

"Quand mon dentiste a été retrouvé criblé de balles sur son allonge, j’ai d’abord pris soin de m’associer à la douleur de sa famille, ça n'est qu'ensuite que je me suis indigné qu’on puisse s’en prendre aux dentistes." Il en a profité aussi pour exprimer son regret de ne pas compter de journalistes parmi ses patients. "Déjà que je n’ai plus de CRS, c'est à cause de leurs nouvelles armures...". Je sentais qu'il perdait en adresse et lui se plaignait de crouler sous les dettes, "les jeunes ne paient pas et ils ne veulent même pas entendre parler de la CMU. Dès qu’ils entendent un acronyme de trois lettres commençant par un C, ils caillassent, alors que moi je soigne des dents, pas des hématomes. Je ne changerai de spécialité, je suis comme mon jardinier, je tiens trop à mes fraises."



Jésus était un post-communiste

"Your message is that in Europe today the blind are leading the blind."

Slavoj Žižek dans une lettre à Nadezhda Tolokonnikova, performeuse pour les Pussy Riot, en résidence protégée dans un goulag.

Donc il n'est même plus question de borgnes. Le camarade leader est un aveugle parmi nous les aveugles, et serait même avec une poignée d'autres les seuls à posséder une canne.

L'épistolaire échange d'idéaux entre ces deux êtres, un post-communiste drolatique et une punk-romantique démoniste, est délicieux. On aurait envie de les voir faire l'amour. On assisterait enfin à la catharsis des tics de cet être fou d'image. Quelle scène, lui allant en Sibérie, oubliant dans la neige ses concepts de toute façon vains et bientôt inutiles, cassant les murs d'enceinte avec son physique de gorille et léchant le cerveau des mâtons par ses mots sortis de son regard de loup. Il n'en tuerait aucun. Et il délivrerait la belle en une étreinte les projetant à Moscou grâce à la force centrifuge de leur amour passionnel. Au cœur des officines, l'un dans l'autre ils léviteraient à tombeau ouvert parmi les anciens rats du KGB, les culbutant jusque dans les fleuves qu'ils assèchent, sur les arbres qu'ils arrachent et les terres qu'ils brûlent, à l'aveugle tel que l'amour nous rend, et les aveugles se hâteraient de prétendre que si nous sommes tant d'aveugles, c'est parce que l'on s'aime trop.

L'amour détruit tout sur son passage. 


vendredi 8 novembre 2013

Tremblez, comédiens, le rrom vous poursuit jusque sur les planches

TRAC :
Prononc. et Orth.: [tʀak]. Homon. et homogr. trac1traque, formes de traquer. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1. 1830 traque « peur, appréhension » (Chans. pop. ds Esn. 1966); 2. 1833 « angoisse avant d'affronter le public » (Coméd.ibid.). Mot onomat. issu du rad. expr. trak (v. trac1) qui dépeint le sursaut de quelqu'un qui est soudain pris de peur. Selon une autre hyp., proposée par A. Becker-HoLes Princes du jargon, Paris, 1990, p. 74, trac serait un empr. au rromani trach « crainte, angoisse » (lui-même prob. issu d'une lang. de l'Inde, cf. le skr. trāsa- « frayeur, terreur, angoisse »).


mercredi 30 octobre 2013

La page de pub, ou l'outil de la reproduction de l'ouvrier, du cadre, et de leur patron, dans un système pyramidal où les pauvres sont inclus.

Quatre cosmonautes géants gravitent autour de la planète Terre. Ils déploient lentement leurs bras vers elle, puis leurs gros doigts traversent sans heurt l'atmosphère, et ils soulèvent, chacun de leur côté, la croûte terrestre, doucement, sans rien arracher. La Terre s'ouvre en plusieurs facettes que les cosmonautes manipulent avec une délicatesse d'apesanteur. De longs reflets d'argent parcourent l'envers de la Terre, qui se montre peu à peu. Les premières facettes sont entièrement retournées, puis positionnées ; c'est une bagnole qui est formée.

D'après mes estimations établies à partir de l'échelle de Kardashev, nous sommes amenés dans cette publicité à rencontrer une civilisation de type II (sur une échelle allant jusqu'à Troyes), vers 150 millions d'années avant le prochain messie qui sera probablement une femme si l'on pense que la bagnole eut pu être un carrosse.

Il n'est pas nécessaire de croire à la mégalomanie de cette image. Comme à celle de toutes les autres en matière de matraquage publicitaire, où depuis quelques années l'imagination humaine ne cesse de repousser sa limite si bien que la majorité des grandes marques mettent en scène des hordes de bipèdes pareillement heureux, en leur faisant dévaler la Nature et scander une même vérité absolue, 15 fois par jour. Non. Il est nécessaire de croire que l'on a à faire à une civilisation candide se moquant d'elle-même, d'une partie d'elle-même : l'étrange fascisme tout puissant et joyeux de sa bite vue comme un gourdin mental, ou un boudin fécal.

Au choix.

vendredi 11 octobre 2013

Hommes monstres et femmes droites

Translucides Camarades,

Bakchich et ses humeurs voient au fond de toi. De ton gros orteil jusqu'à la radicelle de ton premier cheveux blanc. Tu es occidental, patriarche ou castrateur, tu ne t'aimes pas beaucoup. Surtout, tu ne comprends plus grand chose. Ta civilisation se bouffe la queue, ta culture se disloquent, tes pieds puent.

Tu crois qu'en cette rentrée 2013 le souffle nouveau de l'impertinence ambiante va te sauver des flots de ta baignoire désormais en plastic. Tu te trompes, et c'est normal.

Tu espères que la femme à qui tu confies les clés du pouvoir te sauvera, mais tu oublies que les outils du pouvoir furent dessinés par le gland de l'homme. Tu espères qu'un homme change ces outils, mais tu te plies finalement à son isolement, ou à sa lâcheté.

Alors tu expédies, translucide camarade. Tu catapultes. Tu n'inventes pas mais éventes, tu fuis dans l'irréel. Tu éventes des réalités, tu les uses, les jettes et les changes comme des bagnoles. Plus tu éventes, moins tu as d'imagination, moins tu as d'imagination, plus ton désir d'éventer tourne à l'hystérie : tu violes ton propre imaginaire. Au lieu de travailler à transmuter la vie, tu mutes toi-même dans un autre corps que tu as préfabriqué et jugé soit génial, soit nécessitant quelques retouches votées par ton parlement chaque été alors que tu nages dans les eaux légères de ta poubelle océanique. L'eau lourde, celle de la connaissance, que le duel entre toi enfant, et toi adulte, aimerait voir sourdre, t'effraie. Tu préfères barboter dans ta bouée canard et rire d'enchaînements évidents, parce que tu fais en sorte qu'il ne reste plus que ça.

Un de tes camarades se présente à toi, libidineux et dégoulinant de sang, son bras qui tombe par terre alors que vous alliez vous serrer la main. Tu le rassures sur son allure, ramasses son bras et cours lui en trouver un de rechange. Tu reviens vers lui, lui tend le bras nouveau mais, entre temps, l'autre était tombé. Tu n'a plus le choix, tu dois euthanasier. Dès lors, que fais tu ?

Toujours protégé par ta bouée canard, tu patauges dans ta Jérusalem terrestre ou ta Cité qui gratte les cieux. Tu patauges parce que l'eau a reculé. "Ça y est !", tu te dis, tu auras désormais toujours pied. Et tu es devenu ce troisième genre, avec seins, queue, buisson, double anus, et cheveux mi-long pour respecter la mode. Tu ne serres plus de main, elles tombent. Tu ne discutes plus, tu agites des mots comme l'auteur de ce bakchich. Puis tu ne ris plus, tu t'enchaînes aux évidences.

Réconciliation des genres, nouvelle entente civilisationnelle ? Nos culs sont du poulet d'abattoir. Quel bruit.


mardi 17 septembre 2013

Mobilier urbain russe


La Fontaine de Bakhtchisaraï

Alexandre Pouchkine, 1824.

Quittant le Nord, laissant des fêtes,

Me trouvant à Bakhtchisaraï,

J'entrai dans les salles muettes

Et dans les jardins du sérail.

J'errai là même où le Tartare,

Fléau des peuples, odieux,

Jouissait de délices rares

Après des combats furieux.

La volupté sommeille enclose

En ce palais, en ces jardins,

Parmi les clairs jets d'eau, les roses,

Les ceps alourdis de raisins.

L'or brille aux murs en abondance;

Derrière ces barreaux d'antan

les épouses dans leur printemps

Souvent soupiraient en silence...